LES FAUX HÉROS
Notre Guide Linguistique d’Auto-Défense Contre l’Antisémitisme se donne pour objectif d’identifier et de faire face aux manipulations en cas de propos antisémites. Tout en nous appuyant sur des exemples réels recensés par les observateurs de Get the Trolls Out, nous mettons en lumière les subtiles technique du discours antisémite, alliant rhétorique, appel à la haine et à la discrimination envers les Juifs.
Par Anna Szilagyi
Bien qu’il n’y ait rien d’héroïque à répandre la haine et à tenir des propos discriminants, nombreux sont ceux qui se font enjôler par l’antisémitisme car les agresseurs lui donnent des allures d’exploit. Dans les discours antisémites, les Juifs - c’est à dire la communauté que l’on attaque - sont représentés comme des agresseurs, alors que ceux qui les dénigrent s’approprient le rôle des victimes. Cette inversion des rôles est souvent renforcée à l’aide de procédés rhétoriques pour donner l’impression que les non-Juifs sont non seulement les victimes des Juifs, mais qu’en plus ils résistent à leurs agresseurs de manière héroïque.
Dans le cadre de discours antisémites, pour donner une impression héroïque tout en exprimant un refus , les agresseurs emploient fréquemment des tournures négatives. En février 2016 par exemple, l’abbé Methodios du Monastère d’Esphigmenou, en Grèce, s’est exprimé lors de deux rassemblements antisémites. Il a déclaré pendant le premier rassemblement d’Athènes : « Nous [le peuple grec] n’avons pas besoin de leur [le peuple juif] argent… Nous n’avons pas besoin de leur argent ! ». Plus tard, le même mois, il a tenu des propos similaires à Thessalonique : « Nous n’acceptons pas l’argent des Juifs ». Dans le deuxième cas, l’abbé déclare que son monastère n’accepte pas d’argent en provenance de l’Union européenne – qu’il identifie comme une institution juive – pour ses travaux de restauration.
Lorsque les agresseurs antisémites emploient des tournures négatives, ils trompent leurs lecteurs/auditeurs en leur faisant croire qu’ils rejettent des éléments réels alors qu’en réalité ces éléments n’existent pas. C’est justement la tournure négative qui donne à ces éléments ou situations cet aspect réel et tente de les rendre « crédibles ». Par exemple, les « refus » dramatisés de l’abbé ont donné l’impression – incorrecte – que les Juifs essayaient d’acheter le peuple grec en général et plus particulièrement sa communauté monastique. De plus, en « rejetant l’argent des Juifs », l’abbé se fait passer ainsi que l’ensemble des Grecs non-juifs pour des victimes-héros pour qui les valeurs morales importent plus que l’argent, puisque dans sa vision antisémite il décrit les Juifs comme des entrepreneurs oppressants.
Lors du rassemblement de Thessalonique, l’abbé Methodios a ajouté : « Nous ne sommes pas des animaux, nous sommes des êtres humains et Dieu nous a fait libres. Nous ne sommes pas les esclaves des Juifs ». Dans cette déclaration, les tournures négatives peuvent notamment laisser penser que les Juifs considèrent et traitent les Grecs comme des animaux et qu’ils les assujettissent. Même si ces suppositions ne reflètent pas la réalité, elles sont fortement renforcées par la répétition de tournures négatives.
En janvier 2016, le député du parti d’extrême droite l’Aube Dorée a conseillé aux Grecs de « ne pas avoir peur de prononcer le mot « Juif(s)». Ce sont nos pires ennemis ». Ici, l’emploi de la forme négative implique que les Juifs persécutent le peuple grec en les menaçant. Par ailleurs, en encourageant les Grecs à oser prononcer le mot « Juif(s) », l’homme politique présente l’antisémitisme comme un acte héroïque.
Le 16 novembre dernier, lors d’un comité de conseil citoyen en Hongrie, le représentant du parti au pouvoir, le Fidesz, et le maire de la ville de Szentgotthárd ont également tenu des propos antisémites aux apparences héroïques. L’homme politique hongrois a réagi aux attentats de Paris : « Ce qu’il s’est passé à Paris est la preuve que certains milieux d’affaires et, j’ose le dire, certains milieux d’affaires soutenus par l’Etat d’Israël, essayent de monter l’Europe chrétienne contre l’islam ». Ici, au lieu d’utiliser la négative, le politique a employé l’expression « j’ose le dire », ce qui donne l’idée que prononcer ces propos antisémites est un acte courageux.
Le rôle trompeur de la victime-héros est un élément clé de l’antisémitisme visant à séduire et à attirer de nouveaux adeptes. Ne tombez pas dans le piège, l’héroïsme mensonger contenu dans les discours antisémites cherche à encourager le racisme et la discrimination.