« L’ennemi intérieur » : comment la couverture médiatique de l’assassinat de Samuel Paty contribue à attiser la haine envers les musulmans

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Le terrible assassinat d’un professeur dans une banlieue parisienne en octobre a déclenché une vague de commentaires anti-musulmans en France, venant aussi bien de politiciens que de commentateurs, contribuant à populariser la rhétorique d’extrême droite sur « l’islamisation de l’Europe ». Au lieu de contribuer à un débat apaisé sur la question de l’Islam radical et de la liberté d’expression, beaucoup de médias n’ont pas réussi à distinguer les musulmans de la dangereuse minorité extrémiste qui propage la terreur.

Le meurtre du professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, décapité pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet durant un cours sur la liberté d’expression, a profondément choqué et endeuillé la France. A la suite de cet acte terroriste, auquel s’est ajouté l’attaque meurtrière au couteau qui a frappé la cathédrale de Nice, les émissions télévisées françaises ont été dominées par des discussion sur le terrorisme et la liberté d’expression. Avec des centaines de commentateurs et de journalistes exprimant leur point de vue sur ces affaires. Cependant, la plupart de ces commentaires ne concernaient pas les extrémistes islamistes, mais la communauté musulmane française, perçue comme un « ennemi intérieur ».

Ce meurtre correspond à la troisième attaque terroriste en lien avec les caricatures de Mahomet en France. Il s’est produit seulement un mois après l’attaque de deux personnes au couteau devant les anciens locaux du journal satirique Charlie Hebdo. Des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées pour une marche à Paris et dans d’autres villes françaises pour rendre hommage au professeur.

Le gouvernement français a répondu à cet acte avec une rhétorique plutôt hostile accompagnée d’actions musclées, dans la perspective de mesures strictes pour combattre le « séparatisme » islamiste en France, comme cela avait été déjà annoncé au début du mois d’octobre. Les mots utilisés par le président Macron mais aussi par certains de ces ministres et par d’autres politiciens ont heurté une partie des musulmans de France ainsi qu’à l’étranger.


Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’exprimant sur l’attaque terroriste sur BFMTV, a par exemple dit que les « rayons communautaires » des supermarchés constituaient une menace pour la nation : « Moi ça m’a toujours choqué de rentrer dans un hypermarché et de voir un rayon de telle cuisine communautaire et de telle autre à côté. C’est comme ça que ça commence le communautarisme”. Le ministre a appelé notamment à un « capitalisme patriotique ». Ces propos ont été critiqués par de nombreuses personnes qui ont reconnu dans ses mots une corrélation violente entre terrorisme, « séparatisme » et habitudes culturelles, comme si manger de la viande hallal ou casher constituait une menace pour l’unité du pays.


Mais le durcissement des discours discriminatoires à l’encontre des musulmans n’a pas été exprimé seulement par des personnalités politiques. Même si l’analyse et la couverture proposées n’ont pas été unanimement négatives, certains médias français ont encouragé, de manière constante, la division et la haine. Parmi ces médias, la chaine télévisée CNEWS donne régulièrement voix au chapitre à des commentateurs avec des positions envers les musulmans très marquées, très souvent proche de l’incitation à la haine.

Gilles-William Goldnadel, avocat et invité régulier des émissions de CNEWS, a appelé à de la vengeance, et pas seulement envers les extrémistes. « J'ai toujours ma colère pour les responsables de là où nous sommes et nous savons qui ils sont et ce ne sont pas que des islamistes ». Il ajoute que « le plus bel hommage que l'on puisse rendre à Samuel Paty, c'est de le venger ».

Sur la même chaine télévisée, Elisabeth Levy, directrice en chef du très conservateur magazine français « Causeur », a dit que les femmes musulmanes devraient enlever leur voile pendant une semaine en hommage à Samuel Paty : « Je m'étonne qu'il n'en y ait pas une seule qui ait dit par tact [qu’elle enlèverait son voile] aujourd'hui en l'honneur de Samuel Paty parce que c'est aussi mon voile est aussi l'uniforme des ennemis de la France ».

Dans un autre épisode, le journaliste de CNEWS, Julien Paquet, s’est plaint du faible nombre de musulmans durant la marche en hommage à Samuel Paty, suggérant implicitement que les musulmans n’en font pas assez pour lutter contre le terrorisme. « Mais, comment reconnaissez-vous les musulmans ? » lui a justement demandé l’un de ses invités, manifestement en désaccord avec ses propos. L’invité a également souligné la situation paradoxale dans laquelle se trouve les musulmans en France ; où, d’un côté, ils ne doivent pas montrer leurs signes religieux pour « être français », et en même temps, dans le cadre d’attentats terroristes, ils doivent prouver de montrer qu’en tant que musulmans, ils sont en désaccord avec le terrorisme.

Donner de la voix à ce type d’opinions est dangereux : en percevant de manière explicite les musulmans comme des « ennemis », qui portent un « uniforme » ; en appelant à de la vengeance, en insistant que les responsables ne sont pas juste les extrémistes ; et en sous-entendant que les musulmans ne se lèvent pas contre le terrorisme, cela équivaut à penser que les musulmans sont des terroristes.

Si l’on considère que les extrémistes islamistes représentent une minorité d’1,8 millions de croyants dans le monde, comment ces idées peuvent-elles avoir un sens ? Comment ceux qui appellent à plus d’unité pensent que ce type de discours va mener à une plus grande cohésion sociale ? Les journalistes devraient réaliser que ces éléments encouragent la suspicion et développent une haine qui mène à des divisions plutôt qu’à un apaisement.

A l’extérieur de la France, le débat médiatique a pu être moins houleux, tout en stigmatisant, cependant, la population musulmane, en présentant des narratifs blessants à propos de « l’islamisation de l’Europe ».

En Allemagne, deux blogs d’extrême-droite, Philosophia Perennis et Journalistenwatch, ont soutenu que l’attentat n’avait pas reçu suffisamment de couverture médiatique en Allemagne. Selon eux, le manque d’attention n’est pas lié au hasard, mais dû plutôt à la peur de « l’Islam idéologique » ainsi qu’à la détermination des « pacificateurs de l’Islam ».

L’hebdomadaire belge Le Vif a publié un article d’opinion de la professeure, autrice et militante laïque, Nadia Geerts, qui affirme savoir comment régler le problème du radicalisme islamique, mais échoue à différencier les musulmans dans leur ensemble des fondamentalistes islamiques. L’article indique également que les accusations de racisme sont de plus en plus communes, minimisant dangereusement la haine envers les musulmans et délégitimisant ceux qui ont en fait l’expérience.

Au Royaume-Uni, un récit très similaire a été tenu par Conservative Woman, un blog d’actualités qui se définit lui-même comme une « contre-offensive culturelle envers les forces du gauchisme, du féminisme et du modernisme ». Participant au blog, le journaliste Donald Forbes ne fait aucune distinction entre les musulmans en général, et les terroristes islamiques. Son article indique que l’Islam et ses croyants n’appartiennent pas à l’Europe, et que les immigrants ont « inondé » l’Europe, refusant de retourner d’où ils viennent.

Dans le Liberal, l’écrivain et éditorialiste grec, Soti Triantafillou, attaque les musulmans pour « ne pas d’identifier avec nous » et pour ne pas être loyal avec les pays qui les hébergent. Triantafillou va assez loin pour écrire que « le principal problème de l’Europe n’est pas le terrorisme. Mais qu’une grande partie de la population européenne n’est pas européenne ».

L’épouvantable meurtre de Samuel Paty est un évènement important, et doit pour cela être couvert par les médias, à travers les faits et leur analyse. Cependant, ce crime ne doit pas pour autant être exploité pour contribuer à stigmatiser des communautés entières.

Les médias jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre de la division ou de la cohésion. Les personnes qu’ils interviewent, les questions qu’ils posent, les discours et les narratifs qu’ils dessinent, tout cela contribue à la façon dont les évènements sont vécus et interprétés par le public.

Souvent, le meurtre de Samuel Paty n’a pas donné lieu à un dialogue respectueux au sujet de la liberté d’expression, ou encore des conditions sociales, culturelles et économiques qui entrainent l’extrémisme. Au contraire, cela a été exploité pour renforcer les narratifs d’extrême droite qui stigmatisent les minorités ethniques et religieuses, et qui imposent des restrictions sur qui a le droit de se considérer comme français, ou comme européen.

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